Rena Tzolakis, lithographe

Rena Tzolakis, lithographe

Rena Tzolakis est née en Crète, à Heraklion. Elle grandit sur la terre de ses ancêtres et dans l’âme profondément crétoise de l’enfant de naguère, se forme une vision du monde que l’adolescente brûlera plus tard d’exprimer. Il faudra peindre. Elle quitte son pays pour suivre à Athènes les cours de l’École nationale supérieure des beaux-arts.

Ses dons, son acharnement à poursuivre l’expression d’une réalité qu’elle déclarait toujours lui échapper, ses inquiétudes et ses angoisses lui assurent une bourse qui lui permet, trois ans durant de venir travailler la lithographie en France, à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Avec la même passion, elle se lance dans cette nouvelle aventure et ne tarde pas à s’acquérir l’estime de son nouveau maître, Pierre-Eugène Clairin. En 1964 la Bibliothèque Nationale de Paris lui achète une lithographie et en 1965 la Maison de beaux arts lui consacre, avec trois autres jeunes lithographes, une importante exposition. Aujourd’hui, c’est Athènes qui l’accueille pour sa première grande exposition personnelle. A travers une vingtaine d’aquarelles et autant de lithographies réalisées au cours de ces deux dernières années. Rena Tzolakis révèle son univers. Elle n’a pas abandonné le monde de la figuration, elle a seulement pris avec lui des distances. En conquérant une plus grande liberté de composition et de couleurs, elle est allée chercher au cœur de la réalité visible, une réalité plus profonde, celle de ses sensations, de son émotion. La sagesse grecque n’affirme-t-elle pas que le soleil n’existe que par les forces obscures que nous venons ordonner en lui, que par les rêves qu’il faut savoir y faire sécher? Des rêves inquiets s’accrochent aux paysages de Rena Tzolakis : « Delphes » est sous la menace des Dieux, des «Oiseaux» s’envolent ou plongent vers l’Inconnu, une barque prend «le départ» vers d’incertains rivages, des êtres, parfois des « monstres » se rencontrent, disparaissent. Monde réel, monde de rêve, autre monde, tous revivent en un seul sous le pinceau au noir mystérieux, aux couleurs fluides, transparentes, passées. Avec l’aquarelle et la lithographie, s’est bien le langage de l’intimité que l’artiste a choisi pour sa première rencontre avec son pays. Certes, chacun sait ce qu’est une aquarelle mais la lithographie ? Mieux que tout autre Francis Ponge, le grand écrivain français ami des peintres, en a parlé : cette technique, née il y a environ 150 ans et destinée à la production en série d’images originales (Rena Tzolakis tire de 3 à 10 épreuves maximum), a comme principale particularité, comparée aux plus anciennes du même genre (burin, pointe-sèche, eau-forte), de ne comporter pratiquement pas de gravure. La pierre lithographique n’est aucunement creusée, elle a seulement la propriété singulière de s’imprégner en profondeur de ce qu’on lui confie en surface et de pouvoir le rendre au papier, sous la presse, dans une sorte de baiser. L’aire, la forme de chaque couleur (le noir y compris), toute la surface qu’elle doit occuper (même, parfois, de façon seulement sous-jacente, pour n’être sensible que par transparence, ou pour modifier telle autre couleur) est portée sur la pierre à l’aide du crayon ou de l’encre lithographique. Autant de pierres que de couleurs et pour chaque épreuve, autant de passages sur autant de pierres qu’elle doit comporter finalement de couleurs. Aussi cette technique réclame-t-elle un pouvoir exceptionnel d’analyse. L’exécution de l’œuvre est confiée en somme à un groupe de pierres, en quantité limitée (3 à 10 pierres pour Rena Tzolakis) et il doit y avoir distribution, attribution, à chacune d’elles, d’une partition strictement définie. Si l’on se souvient que chaque partition doit toujours être, par l’artiste, quelle que soit la couleur prévue, peinte à l’encre lithographique noire, on observera comme Braque le fit remarquer à Ponge, que le peintre lithographe connait une condition semblable à celle du compositeur de musique symphonique. Rien d’étonnant si Rena Tzolakis, de préférence à la gravure, qui comporte toujours une blessure, une déchirure, s’est penchée passionnément sur la lithographie où Ponge perçoit, «un choc finalement plus profond qui atteint les viscères, le système nerveux, le système circulatoire, le cœur et qui remonte de cette profondeur avec une fidélité admirable accordée toutefois à la couleur (mettons à l’humeur) du moment». Il est émouvant de voir si bien éclairée à la lumière de ce texte écrit pour Braque lithographe, l’œuvre de Rena Tzolakis.

Francette Adam,
Cabinet des estampes, Bibliothèque Nationale de Paris,
texte écrit à l’occasion de l’exposition de l’artiste à la galerie ASTOR à Athènes
de 14 décembre 1965 au 2 janvier 1966

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *